French Reading Selections: Claude Eliane Kesney Mikolo – L’Amour Entre par la Cuisine

French Reading Selections: Claude Eliane Kesney Mikolo - L’Amour Entre par la Cuisine

French Reading Selections: Claude Eliane Kesney Mikolo – L’Amour Entre par la Cuisine

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Claude Eliane Kesney Mikolo
L’Amour Entre par la Cuisine (2000)

– Ma fille, tu perds ton temps à te peindre la figure. Tu n’attacheras pas un homme avec des jupes qui t’arrivent aux fesses, mon Dieu! Et dire que le tissu se vend maintenant au mètre et non par petits morceaux comme au temps de nos grand-mères!

– Ecoute-moi bien ma fille, je suis ta tante paternelle[1] et c’est à moi qu’il appartient de veiller à ta réussite conjugale. Tu as vu ton Papa là, Bel Oncle? Il part souvent mais il revient toujours. Et tu sais pourquoi ? Eh bien parce que personne ne fait le maboké[2] de ngola[3] comme moi. Il a tourné dans tout Brazza, il a cherché dans tout le Congo, mais il n’a pas trouvé mon égale et la première des choses qu’il me demande quand il revient, avant même le pardon, c’est de lui faire le maboké de ngola !

– Et toi, Papa Julienne[4], tu acceptes ça?

– Tais-toi donc! Que sais-tu du mariage ? Vous les enfants d’aujourd’hui vous croyez avoir réponse à tout!

– Papa Julienne…

– Oui, “l’amour rentre par la cuisine, il passe par la chambre et s’enfuit par le salon”[5]. Oublie donc tes pots de peinture et tes minijupes et pense aux choses qui comptent. Chaque femme doit avoir une recette fétiche. C’est comme ça qu’on attache son mari. Il n’y a pas de meilleur fétiche qu’un plat préparé avec amour. Pour ce qui est du deuxième point, la chambre, tu es encore trop jeune pour que je t’en parles…

– Ne te fais pas de soucis, Papa Julienne, pour ça, nous apprenons l’éducation sexuelle à l’école…

– Petite effrontée, je vais te chasser et te maudire à jamais. L’éducation sexuelle à l’école ! C’est pour ça que vous êtes sans respect envers les personnes âgées et la tradition. On vous apprend du n’importe quoi là-bas à l’école ! Pour tenir un mari, il faut connaître les recettes qui se transmettent de génération en génération; et il n’y a que la tante Paternelle et la Mère pour te les apprendre. Ne dit-on pas “Dis-moi qui est ta Tante Paternelle je te dirai qui tu es” ? mais assez de commentaires et au boulot. Bel Oncle va bientôt rentrer et il déteste attendre, surtout quand il a demandé du maboké. La recette que je m’apprête à t’apprendre m’a été transmise par ma tante paternelle qui elle-même l’a reçue de sa tante paternelle et ainsi de suite. A ton tour d’ouvrir tous grands tes yeux et tes oreilles.

Première chose, quand tu vas acheter le poisson, il faut bien regarder à qui tu t’adresses. N’achète pas chez les jeunes, ceux-ci sont paresseux; ils s’arrêtent au Madoukou[6] et les ngolas du Madoukou se nourrissent d’ordures de tous genres et de cadavres de chiens si bien qu’ils provoquent des diarrhées. Ne les achète donc jamais. Choisis donc plutôt un vieux aux mains calleuses et aux bras pleins de cicatrices. Plus il a de cicatrices, plus il a d’expérience. Tu peux acheter le ngola d’un type comme ça les yeux fermés, c’est un pro. Mais, attention ! n’achète jamais le ngola raide mort, achète plus tôt celui à moitié vif, sa chair sera plus douce. Ton ngola acheté, il est temps de choisir les assaisonnements : l’ail, l’oignon, le basilique, le piment vert, la tomate – mais ne choisis pas les grosses tomates, elles ne sont bonnes que pour la salade – et j’allais oublier l’oignon vert ! Ne prends aucun de ces produits artificiels qui sont à la mode de nos jours. Ils rendent impuissant.

– Papa Julienne…

– Vous ne savez même pas ce qu’on met dans ces poudres là. Parce qu’elles sentent bon et que vous êtes paresseuses, vous les utilisez sans réfléchir et vous vous étonnez après que vos maris ne vous touchent pas tous les jours! Bref, le choix du poisson et des assaisonnements terminés, tu choisis les feuilles. N’achète pas les feuilles avec lesquelles on emballe les N’Gouri Yaka,[7] elles rendent le poisson amer. Achète plutôt celles avec lesquelles on emballe les mingwelé,[8] elles adoucissent l’odeur forte du poisson. N’utilise pas non plus les feuilles de bananiers. Il y en a qui causent des maladies incurables. Il faut bien sûr tout acheter le jour-même afin que tout soit frais.

– Bien sûr, Papa Julienne.

– Rentrée chez toi, tu laves ton poisson, tu le nettoies et tu le rinces plusieurs fois, jusqu’à ce que l’eau devienne aussi propre qu’à la sortie de la pompe. Comme le disait une vieille qui en avait beaucoup vu : “Il n’y a rien de plus efficace pour briser un foyer que la présence d’un objet incongru dans la nourriture présentée à son mari. Il en gardera le souvenir dans sa banque à rancunes et ne se privera pas de te le rappeler lorsqu’il voudra se débarrasser de toi!”

Quand ton ngola est propre, tu le coupes en trois ou quatre morceaux moyens et élégants, comme ça, regarde bien. Pas de chairs qui pendent, ni d’arêtes saillantes; pas de trop petits morceaux qui laissent croire que la femme est égoïste ni de trop gros qui montrent qu’elle est paresseuse. Ton poisson coupé, tu le mets de côté dans une assiette propre. Tu nettoies ensuite les assaisonnements. Tu les mets dans un mortier à l’exception du piment que tu ajouteras tout entier dans le maboké et de la tomate que tu couperas en petits morceaux. Tu piles tes assaisonnements jusqu’à ce qu’ils forment une pâte compacte. N’utilise surtout pas le mixeur. Non seulement il change le goût des assaisonnements, mais le fer et l’électricité causent le cancer de la prostate.

– Voyons, Papa Julienne…

– Tu crois peut-être que je suis ignorante moi ? Je ne sais peut-être pas lire mais je sais des choses, moi et en plus, j’écoute la radio, qu’est ce que tu crois ?

Les assaisonnements pilés, tu laves les feuilles d’emballage, tu les laves bien car il y a beaucoup de microbes de nos jours. Tu disposes les feuilles en forme d’étoile, en prenant soin, comme je le fais maintenant, que le milieu de toutes les feuilles divergent, permettant ainsi l’imperméabilité de ton emballage. N’utilises le papier aluminium qu’à la fin. Il change le goût de ton maboké à moins que tu mettes les feuilles d’abord, là comme ça, et pour t’assurer une meilleure imperméabilité tu recouvres ensuite le tout de papier aluminium mais, attention ! le poisson ne doit pas toucher le papier aluminium, compris ? Tu verses ensuite les assaisonnements dans le poisson suivi de la tomate que tu as coupée. Ne mets pas trop de sel, les hommes n’aiment pas les nourritures trop salées. Tu mets ensuite deux à trois cuillerées à soupe d’huile d’arachide – pas celle de Soja, elle ne convient pas pour le maboké.

Le mélange terminé, tu disposes le tout, comme je le fais maintenant – regarde bien comment je fais – sur tes feuilles d’emballage. N’éparpille pas les morceaux, tu les serres plutôt autant que tu peux et tu mets le piment au milieu afin que tout le maboké soit aromatisé[9]. Après, tu le fermes. Tu attaches ton maboké avec le fil qu’on utilise pour attacher le manioc. C’est un fil naturel fabriqué à base de plantes – les fils de fer finissent par te couper le maboké et les fils en plastique brûlent avec la chaleur. Ton maboké ainsi préparé, tu le poses sur le sable que tu as commencé à chauffer deux heures auparavant. N’utilise surtout pas le four ou même ce que vous appelez micro-ondes. Non seulement ça change le goût, mais qui a vu un vrai plat cuire en 15 minutes ? Après on a des problèmes d’estomac ou de foie… Tout le monde sait que les sciences et les technologies, comme vous les appelez, ne font qu’accélérer votre mort!

Je disais donc, tu poses ton maboké sur le sable chaud pendant au moins une demi heure, quand il est devenu un peu plus dur, tu le poses sur le foyer mais prends soin de diminuer la quantité de charbon car le maboké est quasiment cuit et il ne reste là que pour être maintenu au chaud jusqu’au retour de ton mari.

– Papa Julienne…

– Et crois-moi, même si tu te peins la face de toutes les couleurs et que tu portes ta jupe au niveau du nombril, ton mari n’aura pas un regard pour toi si tu lui présentes une sauce tomate verte et un maboké de ngola.

– Papa Julienne, et si le mec en question est allergique au poisson ?

– Dehors petite sotte ! dehors ! On verra bien comment tu trouveras un mari avec ta face peinte et tes petites jupes.

Lexique :

[1] Tante Paternelle : Dans les lignées matriarcales comme dans le Sud du Congo Brazza, la tante paternelle est l’initiatrice des dons du côté paternel. C’est l’incarnation de la partie féminine du père.

[2] Maboké : Cuisine sur charbon, avec des mets enveloppés dans des feuilles

[3] Ngola : Poisson d’eau douce de couleur noire de la famille des poissons-chats

[4] Papa Julienne : La tante paternelle est traditionnellement appelée Papa ou le Papa-Femme.

[5] Une maxime qui suggère que la femme maintient son mariage par ses dons culinaires, ses exploits sexuels et ses dons d’hôtesse de maison.

[6] Madoukou : cours d’eau qui traverse les quartiers Nord de Brazzaville et qui tombe dans le fleuve Congo. Les services de voiries étant presque inexistants, les riverains déversent leurs ordures dans le cours d’eau. Ce cours d’eau est réputé pour sa saleté.

[7] Ngouri Yaka, mère du pain de Manioc en Kikongo; gros pain de Manioc fabriqué généralement dans les régions du Sud du Congo et au Zaïre. Ce pain peut atteindre jusqu’à 10 kg et ses feuilles d’emballages permettent la conservation du pain pour une plus longue durée jusqu’à un mois en saison sèche. Ces feuilles ne sont utilisées que pour la cuisson du Pain de Manioc ou de maïs.

[8] Mingwelé, pain de manioc plus petit qui se prépare dans la partie Nord du pays, en République Centrafricaine et au Cameroun. Il peut atteindre jusqu’à 1 kg et se conserve moins que le précédent. Ces feuilles sont utilisées comme ustensile dans la cuisine et ont pour réputation de ramollir les viandes et de radoucir les odeurs fortes des viandes ou poissons.

[9] Le piment vert est utilisé comme une plante aromatique dans la plupart des pays d’Afrique centrale.

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